La question des 39 heures sans RTT soulève de nombreuses interrogations juridiques dans le paysage du droit du travail français. Alors que la durée légale du travail est fixée à 35 heures par semaine, de nombreuses entreprises optent pour des contrats de 39 heures hebdomadaires. Cette pratique, bien qu’autorisée sous certaines conditions, doit respecter un cadre légal strict pour éviter tout risque de contentieux. Les salariés concernés par ce type de contrat s’interrogent légitimement sur leurs droits en matière de compensation, notamment l’attribution de jours de réduction du temps de travail.
Cadre légal des 35 heures selon le code du travail français
Article L3121-27 et durée légale hebdomadaire de référence
L’article L3121-27 du Code du travail établit le principe fondamental selon lequel la durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine . Cette disposition constitue le socle de référence pour le calcul des heures supplémentaires et des contreparties en repos. Il convient de distinguer la durée légale de la durée maximale de travail, cette dernière pouvant atteindre 48 heures par semaine dans certaines circonstances.
La semaine de travail débute le lundi à zéro heure et se termine le dimanche suivant à vingt-quatre heures, sauf disposition conventionnelle contraire prévoyant une autre période de référence de sept jours consécutifs. Cette précision temporelle revêt une importance capitale pour le calcul précis des heures supplémentaires et l’attribution des compensations correspondantes.
Dérogations prévues par l’article L3121-29 du code du travail
L’article L3121-29 du Code du travail prévoit plusieurs possibilités de dérogation à la durée légale de 35 heures. Ces dérogations peuvent être établies par convention ou accord collectif de travail, permettant ainsi une adaptation aux spécificités sectorielles. Les entreprises peuvent notamment recourir à des aménagements du temps de travail sur une période supérieure à la semaine, dans la limite d’une année.
Ces aménagements doivent respecter des conditions strictes de mise en œuvre, incluant l’information et la consultation préalables des représentants du personnel. La durée de travail peut ainsi être modulée en fonction des variations d’activité, à condition que la moyenne sur la période de référence n’excède pas la durée légale majorée du volume d’heures supplémentaires autorisé.
Convention collective et accord d’entreprise : modalités d’aménagement
Les conventions collectives et accords d’entreprise constituent les instruments privilégiés pour organiser le dépassement de la durée légale de travail. Ces textes peuvent prévoir des modalités spécifiques d’organisation du temps de travail, incluant la répartition des 39 heures sur la semaine et les contreparties accordées aux salariés. La négociation collective permet d’adapter les dispositions légales aux contraintes opérationnelles de chaque secteur d’activité.
L’accord d’entreprise doit obligatoirement préciser les conditions d’attribution et de prise des jours de RTT lorsque la durée de travail excède 35 heures par semaine. Cette précision contractuelle protège à la fois l’employeur et le salarié en définissant clairement les droits et obligations de chacun. L’absence de telles dispositions expose l’entreprise à des requalifications judiciaires et des rappels de salaire.
Sanctions pénales en cas de non-respect des dispositions légales
Le non-respect des dispositions relatives à la durée du travail expose l’employeur à des sanctions pénales prévues par l’article R3124-1 du Code du travail. L’amende peut atteindre 1 500 euros par salarié concerné, portée à 3 000 euros en cas de récidive. Ces sanctions s’appliquent notamment en cas de dépassement des durées maximales de travail ou de non-attribution des contreparties en repos obligatoires.
L’inspection du travail dispose de pouvoirs étendus pour contrôler le respect de ces dispositions et peut dresser des procès-verbaux d’infraction. Les entreprises doivent donc veiller scrupuleusement au respect des obligations légales et conventionnelles en matière de temps de travail pour éviter tout risque de poursuites pénales.
Régimes dérogatoires autorisant le dépassement des 35 heures
Forfait jours cadres dirigeants : plafond annuel de 218 jours
Le forfait en jours constitue une modalité d’organisation du temps de travail spécifiquement destinée aux cadres dirigeants et aux salariés disposant d’une autonomie dans l’organisation de leur temps de travail. Ce régime, prévu par l’article L3121-43 du Code du travail, permet de déroger aux règles de durée hebdomadaire en fixant un plafond annuel de 218 jours travaillés.
Dans le cadre d’un forfait jours, la notion d’heures supplémentaires disparaît au profit d’un décompte en jours . Les salariés concernés ne peuvent prétendre à des RTT au titre du dépassement de la durée légale hebdomadaire, celle-ci n’étant plus applicable. Cependant, l’employeur doit veiller au respect de l’amplitude quotidienne de travail et garantir le repos hebdomadaire obligatoire.
Convention de forfait en heures sur l’année
La convention de forfait en heures sur l’année permet d’organiser le temps de travail sur une période de référence annuelle, tout en intégrant un volume d’heures supplémentaires prédéterminé. Cette modalité, encadrée par l’article L3121-39 du Code du travail, offre une flexibilité dans la répartition du travail tout au long de l’année.
Le forfait annuel doit obligatoirement préciser le nombre d’heures de travail effectif et le nombre d’heures supplémentaires incluses dans la rémunération forfaitaire. Les heures supplémentaires ainsi forfaitisées ouvrent droit aux majorations légales ou conventionnelles, mais peuvent faire l’objet d’un régime de compensation spécifique prévu par accord collectif.
Accord d’aménagement du temps de travail sur cycle plurihebdomadaire
Les accords d’aménagement du temps de travail sur cycle plurihebdomadaire permettent de répartir la durée légale sur une période supérieure à la semaine, dans la limite d’une année. Cette organisation peut justifier des semaines de 39 heures compensées par des semaines de durée inférieure, l’objectif étant de respecter la moyenne de 35 heures sur la période de référence.
Cette modalité d’aménagement nécessite un accord collectif spécifique définissant les modalités de calcul et de compensation. L’absence de jours RTT peut alors se justifier si la moyenne annuelle ne dépasse pas la durée légale de référence. Cependant, cette organisation doit respecter les durées maximales quotidiennes et hebdomadaires de travail.
Secteurs d’activité soumis à dérogations spécifiques
Certains secteurs d’activité bénéficient de dérogations spécifiques permettant l’organisation de semaines de 39 heures sans attribution systématique de RTT. Ces dérogations, prévues par des textes réglementaires sectoriels, concernent notamment les activités de sécurité, de santé, ou présentant des contraintes particulières de continuité de service.
Les entreprises de transport, les établissements de santé, ou encore les activités saisonnières peuvent ainsi organiser le travail selon des modalités dérogatoires. Ces régimes particuliers doivent néanmoins respecter les principes fondamentaux de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, notamment en matière de repos compensateur.
Heures supplémentaires et contingent annuel réglementaire
Lorsqu’un salarié effectue 39 heures par semaine dans le cadre d’un contrat de travail classique, les 4 heures dépassant la durée légale constituent des heures supplémentaires au sens de l’article L3121-28 du Code du travail. Ces heures supplémentaires donnent droit à une majoration de salaire d’au moins 25 % pour les huit premières heures, puis 50 % au-delà, sauf disposition conventionnelle plus favorable.
Le contingent annuel d’heures supplémentaires, fixé par défaut à 220 heures par salarié et par an, constitue le seuil au-delà duquel des contreparties obligatoires en repos doivent être accordées. Un contrat de 39 heures représente 208 heures supplémentaires annuelles (4 heures × 52 semaines), soit un volume proche du plafond réglementaire. Cette proximité explique pourquoi de nombreuses entreprises optent pour l’attribution de jours RTT plutôt que pour le paiement intégral des majorations.
L’organisation d’un temps de travail de 39 heures sans compensation en RTT n’est légale que dans des cas très spécifiques prévus par la loi ou les accords collectifs.
La gestion du contingent d’heures supplémentaires revêt une importance cruciale pour les entreprises pratiquant le 39 heures. Le dépassement de ce contingent entraîne automatiquement l’attribution d’un repos compensateur obligatoire, calculé selon des modalités précises définies par le Code du travail. Cette obligation légale ne peut être écartée par aucune disposition conventionnelle.
Contreparties obligatoires en repos compensateur équivalent
Calcul du repos compensateur de remplacement selon l’article L3121-28
L’article L3121-28 du Code du travail prévoit que toute heure supplémentaire accomplie au-delà de la durée légale donne lieu à une majoration de salaire ou, à défaut, ouvre droit à un repos compensateur équivalent . Cette alternative permet aux entreprises de choisir entre le paiement majoré et l’attribution de repos, sous réserve de l’accord du salarié concerné.
Le calcul du repos compensateur de remplacement s’effectue en appliquant le même taux de majoration que celui prévu pour la rémunération des heures supplémentaires. Ainsi, une heure supplémentaire majorée à 25 % donne droit à 1 heure et 15 minutes de repos compensateur. Cette équivalence garantit l’égalité de traitement entre les différentes modalités de compensation.
Modalités d’attribution du repos compensateur obligatoire
Le repos compensateur obligatoire s’applique automatiquement lorsque le contingent annuel d’heures supplémentaires est dépassé, conformément à l’article L3121-30 du Code du travail. Ce repos est distinct du repos compensateur de remplacement et constitue une contrepartie supplémentaire destinée à préserver la santé des salariés effectuant un volume important d’heures supplémentaires.
Les modalités d’attribution varient selon l’effectif de l’entreprise : 50 % des heures excédant le contingent pour les entreprises de moins de 20 salariés, et 100 % pour les entreprises de 20 salariés et plus. Cette différenciation vise à tenir compte des contraintes spécifiques des petites structures tout en maintenant un niveau de protection élevé pour les salariés.
Délai de prise et report du repos compensateur
La prise du repos compensateur doit s’effectuer dans un délai de deux mois suivant l’ouverture du droit, sauf disposition conventionnelle prévoyant un délai différent. Le salarié peut exercer son droit à repos compensateur en adressant une demande écrite à son employeur, avec un préavis d’au moins une semaine, sauf urgence dûment justifiée.
L’employeur ne peut s’opposer à la prise du repos compensateur que pour des raisons impérieuses liées aux nécessités du service. En cas de refus, il doit proposer une nouvelle date dans un délai raisonnable. Le non-respect de ces obligations expose l’employeur à des sanctions et peut donner lieu à réparation du préjudice subi par le salarié.
Inspection du travail et contrôle de la durée légale
L’inspection du travail exerce une mission de contrôle essentielle en matière de respect de la durée légale du travail et d’attribution des contreparties en repos. Les inspecteurs du travail peuvent procéder à des vérifications inopinées dans les entreprises et examiner l’ensemble des documents relatifs à l’organisation du temps de travail, notamment les plannings, les bulletins de paie, et les accords collectifs.
Les entreprises doivent tenir à disposition de l’inspection du travail un décompte précis des heures de travail effectuées par chaque salarié, incluant les heures supplémentaires et les repos compensateurs accordés. Cette obligation documentaire, prévue par l’article L3171-3 du Code du travail, permet de vérifier la conformité des pratiques avec les dispositions légales et conventionnelles.
Le contrôle de l’inspection du travail porte notamment sur la justification légale de l’absence d’attribution de RTT pour les salariés effectuant 39 heures par semaine.
En cas de constat d’irrégularités, l’inspection du travail peut adresser des mises en demeure à l’employeur et, le cas échéant, dresser des procès-verbaux d’infraction. Les suites données aux contrôles peuvent inclure des sanctions pénales, des redressements URSSAF, et des actions en justice intentées par les salariés pour obtenir le paiement des heures supplémentaires et des repos compensateurs dus.
La collaboration entre l’inspection du travail et les organismes de sécurité sociale permet une approche globale du contrôle des conditions de travail. Cette coordination renforce l’efficacité des vérifications et garantit une application uniforme de la réglementation sur l’ensemble du territoire.
Jurisprudence récente sur les 39 heures sans RTT
La jurisprudence de la Cour de cassation a précisé les conditions dans lesquelles l’absence d’attribution de RTT pour des salariés effectuant 39 heures peut être considérée comme légale. Dans un arrêt du 13 octobre 2021, la chambre sociale a rappelé que l’organisation d’un temps de travail supérieur à 35 heures sans contrepartie en repos nécessite une base légale ou
conventionnelle expresse. Cette décision confirme l’obligation pour les employeurs de s’appuyer sur des dispositions légales claires pour justifier l’absence de compensation.
Un arrêt récent de la Cour d’appel de Paris du 25 mai 2022 a condamné une entreprise au paiement de rappels de salaire au titre d’heures supplémentaires non majorées pour des salariés effectuant 39 heures sans RTT ni compensation financière. La cour a considéré que l’absence d’accord collectif spécifique rendait illégale cette organisation du temps de travail.
La jurisprudence distingue clairement les situations où le dépassement de 35 heures est compensé par des RTT de celles où aucune contrepartie n’est prévue. Dans ce dernier cas, les juges exigent systématiquement le paiement des heures supplémentaires avec majorations, conformément aux dispositions du Code du travail. Cette position jurisprudentielle protège les droits des salariés tout en incitant les entreprises à formaliser leurs pratiques.
Les décisions récentes mettent également l’accent sur la nécessité d’une information claire des salariés concernant leurs droits en matière de temps de travail. L’absence de mention expresse des modalités de compensation dans le contrat de travail ou l’accord collectif constitue un vice susceptible d’entraîner la nullité des clauses relatives à la durée du travail.
Enfin, la Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 8 juin 2023 que la charge de la preuve du caractère légal de l’organisation du temps de travail incombe à l’employeur. Cette règle probatoire renforce la position des salariés dans les contentieux relatifs aux 39 heures sans RTT et encourage les entreprises à documenter précisément leurs pratiques en matière d’aménagement du temps de travail.